2024: Dans notre Jardin-forêt
Quand je repense à mon parcours, je ne peux m'empêcher de sourire, étonnée par les détours inattendus que ma vie a pris. Passionnée de biologie depuis toujours, fascinée par la complexité du vivant, j'ai longtemps cru que ma vocation était d'explorer les secrets de la physiologie animale. Persuadée qu’il existe encore beaucoup de choses méconnues à étudier je ne poursuis néanmoins pas dans cette voie qui reste peut être trop théorique pour moi. Je l’analyse mieux maintenant à la cinquantaine passée.
A l’époque, j’ai 22 ans et je désire plus que tout fonder une famille; notre port d’attache se situe en Meuse, loin des grandes universités qui me proposent de poursuivre dans la recherche, et au temps où les termes de télétravail, web, visioconférence n’étaient pas encore inventés !
Le choix est très simple à faire pour moi, je me dirige vers l’agroalimentaire et plus particulièrement dans la qualité après l’obtention d’un certificat en gestion de la qualité. Mon cœur va vers une coopérative laitière qui me permet de revenir au contact des exploitations agricoles qui ont bercées mon enfance quand je suivais un ami de mes parents, vétérinaire, dans ses tournées de campagne. Cela correspondait à ma première passion, celle qui a orienté mes choix après le bac. Mais contrariée par des allergies aux poils d’animaux et à toutes sortes de poussières de céréales que j’avais voulu occultées jusque là, j’ai, avec regret, abandonné cette voie. Bref, me revoilà dans les fermes, allergies ou pas, à mener une démarche novatrice de certification des élevages laitiers volontaires, dans l’esprit de la norme ISO 9001. Ce fut une aventure humaine et professionnelle extraordinaire. Réunir autour d'une table des générations d'agriculteurs, leurs épouses, échanger dans la simplicité sur la qualité du travail de chacun(e), tout cela m'a profondément marquée. De l’analyse de risques au fin fond des villages meusiens, assis sur des bottes de foin ou dans une cuisine emplie de l’odeur d’une bonne tarte aux pommes, côtoyer des femmes extraordinaire de courage, de connaissance, de volonté de prendre leur place et de dire haut et fort leur amour de leur métier ! 10 ans se sont passés et après la certification d’une trentaine d’exploitations, de la coopérative et de tous ses services (du conseil à la collecte et transport du lait en passant par le négoce et l’installation de matériel agricole), je décide de quitter cette coopérative après le départ à la retraite du directeur fondateur de l’entreprise. Il m’avait offert sa confiance et les moyens de mettre en œuvre cette expérimentation, son successeur ne me donnait pas de bons signaux et la routine guettait. Le métier de responsable qualité avait également un petit côté « faut faire comme ci, faut faire comme ça, pour que le client soit satisfait ». Mais à ce stade, j’avais envie de mettre en œuvre toutes ces belles paroles, avec un client en face de moi ! Du concret !
Il se trouve que mes parents venaient de créer une nouvelle entreprise en découvrant le courtage en prêt immobilier. Je ne voyais pas vraiment de quoi il s’agissait, jusqu’à ce que certains de mes proches fassent appel à leurs services. Et là c’est une découverte : le service qu’ils apportent répond à une vraie demande et la satisfaction que je ressens autour de ce métier, m’interpelle. Je passe 2 jours dans leur agence située à plus de 100 km de chez moi et banco ! J’ouvre la première agence de courtage en Meuse dans la foulée. Métier non réglementé à l’époque, je me forme sur le tas et mes premiers dossiers, l’accompagnement à distance de mes parents et ma volonté de tout comprendre et tout maitriser fait le reste. J’adore ce lien avec les clients à un moment très important de leur vie : c’est très souvent l’achat de leur première résidence principale, projet enthousiasmant mais aussi stressant. Je suis là pour eux, pour démystifier les termes techniques et effacer les écueils qui se présentent, et négocier bien sûr pour une solution qualitative (on ne se refait pas !).
On est en 2004, j’ai 3 enfants, un quatrième qui arrivera 5 ans plus tard, et l’insouciance d’un monde qui a l’air de tourner. Je me rends compte depuis, que des voix s’élevaient déjà pour alerter, mais elles n’arrivaient pas jusqu’à nous…Bien que pas très attirée par le mode de vie un peu “bling bling” que mon milieu professionnel me fait parfois côtoyer, je ne remets pas vraiment en cause tous les excès que je constate dans mon entourage. Avec mon mari, Laurent, nous avons une vie très proche de la nature, des vacances remplies de paysages de randonnées en montagne, toujours avec nos enfants, quand nos relations nous relatent des vacances au bout du monde dans des hotels “hors-sol”. Un peu deux mondes qui se côtoient autour de moi… Je m’y épanoui.
Et un jour, une semaine, un moment, des signes que nous attrapons et qui s’accumulent jusqu’à une prise de conscience. C’est une formation en ostéopathie pour Laurent qui est véto et qui ressent une forme de révolte contre sa formation conventionnelle. C’est la rencontre avec une école alternative et des parents et enseignants qui font le choix d’éduquer les enfants autrement. Et là je me rend compte que je n’avais jamais questionné le système éducatif dans lequel mes 3 premiers enfants avaient grandi, et du fait qu’il y a plusieurs façons d’apprendre, qu’on peut apprendre avec ses 5 sens, avec les mains et le cœur. C’est décidé, le petit dernier ira dans cette école ! Nous relevons les défis logistiques que cela impliquait et après 5 ans de participation active dans cette école associative, j’en deviens (par ancienneté plus que par ambition) la présidente. On est en octobre 2019 et heureusement je ne sais pas ce qu’il m’attend…ce qui nous attend…L’épreuve COVID nous montre autant au niveau médical, au niveau social, au niveau éducatif, les limites de notre système. Cela fait maintenant quelques années que j’ai une prise de conscience de plus en plus fine des limites que nous titillons. Dans notre consommation quotidienne nous adoptons dès 2013 le zéro déchet. Le livre de Pablo Servigne et Raphael Stevens « comment tout peut s’effondrer » me met une claque. Je n’ai que cette thèse à la bouche et il faut passer du temps avec les enfants alors ado et étudiants pour certains pour en parler, rassurer aussi. Laurent et moi, nous ne sommes pas inquiets, assez étrangement, mais cela nous pousse à l’action : s’informer, apprendre à faire nous même. Laurent, scout toujours, a déjà beaucoup de connaissances et d’expérience dans l’aventure en milieu naturel et nous guide dans nos apprentissages.
2021: Titouan et Laurent construisant une cabane en terre-paille
Le survivalisme n’est jamais loin, mais sans aucun extrémisme. Un peu bisounours même, mais convaincus que c’est par coopération que nous résisterons aux défis à venir et pas par compétition. Nos connaissances et notre savoir-faire comme armes de persuasion ! Un été, conscients que les aînés grandissent et que les vacances familiales vont être différentes d’année en année, nous décidons de partir tous les 6 en rando en autonomie complète. Pas au bout du monde…non non. Pour moi, l’aventure commence à la porte de la maison. Partir avec nos chaussures de marche et un sac à dos, franchir le seuil de la porte et découvrir notre territoire en marchant. C'est un rythme très différent de notre routine habituelle qui nous permet de voir les choses sous un autre angle. Nous traversons la forêt d’Argonne et peu de rencontres mais du temps passé entre nous avec les petits événements de ce genre d’expérience qui resteront un grand souvenir familial.
2018: Préparation du repas du soir lors d’une randonnée en Argonne
Durant ces années, je me forme à la cueillette sauvage, à la permaculture. J’expérimente dans notre potager familial, constamment en phase de test, plus ou moins concluants, et là aussi une prise de conscience comme une illumination: “L’important, c’est la vie du sol”, c’est une évidence et ça vient renforcer mes bases. J’apprends à construire une Kerterre (maison en chanvre et en chaux) lors d’un stage avec l’association d’Evelyne ADAM. Cela est organisé dans un lieu très inspirant, en Belgique, dans un domaine agricole pratiquant l’agroécologie.
Puis un jour, en 2021, nous avons l’occasion de devenir propriétaires d’une parcelle de plus de 4 ha composé d’un étang, de prairie, de haies, de noyers et quelques fruitiers, un peu malmené par son vécu d’ancienne sablière, transformé en terrain de loisir, mais avec encore beaucoup de travaux non aboutis par l’ancien propriétaire. Un terrain d’expérimentation de folie ! Dans lequel nous passons tous nos temps libres, vacances, week-end,….et au bout de seulement 6 mois, une kerterre est bien avancée et un jardin forêt designé et planté !
2022: Etang à Longeville en Barrois
2022: Kerterre (chanvre et chaux)
2022: Jardin-forêt, site de la Pépinière Terrabella
Les mains dans la terre, le cœur dans les plantes … c’est décidé, je veux en faire mon métier ! En parallèle, un projet de végétalisation de la cour d’école de mon fils est en projet. On est au cœur de cette aventure et après les plantations, nous participons à l’écriture du projet dans un livret, pour le partager comme remerciement aux nombreux dons reçus et pour diffuser cette expérience au plus grand nombre d’écoles. Remettre du végétal partout, pour le climat, pour se nourrir, pour la biodiversité! Et puis, la rencontre avec l'équipe de 21-22 a été la pièce manquante de mon puzzle personnel: Je découvre lors d’une visite de notre jardin forêt, le métier de redirectionniste et suis enthousiasmée par les projets et les réflexions de l’équipe 21-22 présente ce jour-là. La pépinière dont je rêve balbutie le temps de mettre tout en ordre : on ne démissionne pas de son entreprise! Il faut gérer au mieux cette transition pour les salariées, pour les commerciaux. Et c’est finalement en novembre 2023 que nos chemins se croisent à nouveau avec Hervé, Vincent, Aurélie et Adrien. Une journée passée avec eux auprès de locataires et salariés d’un bailleur social qui décident de transformer une pelouse de plus de 1000m2 en jardin forêt. Co-construire avec les futurs usagers, transmettre toutes mes connaissances acquises tout au long de ma vie professionnelle et personnelle, faire pousser les arbres, arbustes et plantes herbacées (les légumes perpétuels sont mes petits chouchou !), aligner mes valeurs personnelles avec mon activité professionnelle et espérer faire le moins de tort possible à notre terre: Les solutions, on doit bien les avoir en nous y mettons tous et moi je sens qu’en plantant et multipliant le plus naturellement possible des végétaux variés, nourriciers, j’apporte une petite pierre à ces nouvelles (re)directions !